Paris, le mardi 15 janvier 2019 – La présence dans de nombreux produits utilisés et consommés quotidiennement de substances chimiques suspectées d’interférer avec notre système endocrinien et d’avoir des conséquences délétères sur notre santé représente une préoccupation grandissante et majeure de nos concitoyens. Mieux comprendre les mécanismes d’action de ces substances, identifier plus précisément les risques (une mission très complexe en raison de la diversité des expositions et le grand nombre de facteurs associés) et réduire les expositions quand le risque est avéré : tels sont les engagements pris par les pouvoirs publics depuis plusieurs années face à un sujet aussi passionnel et complexe scientifiquement. Le ministre de la Santé, Agnès Buzyn a ainsi rappelé hier à l’occasion des Rencontres nationales Santé-Environnement qui se tiennent jusqu’à aujourd’hui à Bordeaux : « Nous n’avons pas encore la preuve scientifique de toute la toxicité de chacune de ces molécules ». Le caractère passionnel est pour sa part en partie lié à l’irrésoluble décalage entre les attentes de la société, l’avancement de la recherche (concernant notamment les effets des expositions à long terme) et les réactions des autorités, comme l’avait observé en 2017 l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport d’évaluation de la première Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE).
Première SNPE : de la bonne volonté mais des réalisations insuffisantes
Afin de mettre en place la réponse la plus adaptée aux différents enjeux, les pouvoirs publics se sont en effet dotés d’une SNPE, qui n’a pas entièrement tenu ses promesses. L’IGAS a en effet regretté que « le premier axe de la stratégie » qui concernait l’amélioration des connaissances n’ait pas bénéficié d’une réalisation satisfaisante. « La thématique des perturbateurs endocriniens (PE) n’a pas trouvé sa place dans la stratégie nationale de recherche. Les programmes de recherche finalisée qui ont permis des avancées, sont actuellement en manque de financement. S’il existe un certain nombre de méthodes déjà accessibles permettant d’évaluer le caractère perturbateur endocrinien des substances, le panel de méthodes validées disponibles est extrêmement limité et le modèle économique d’une plateforme de pré-validation de méthodes de test reste à arrêter » remarquait l’IGAS. Concernant l’évaluation « des dangers et des risques», l’IGAS adressait ses bons points à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ayant respecté son programme et des remontrances à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour ses retards. Félicitant la France pour sa mobilisation sur le plan réglementaire en dépit des difficultés du sujet sur le théâtre européen, l’IGAS observait enfin que la volonté d’une meilleure formation des professionnels de santé paraissait avoir été respectée, quand des lacunes concernaient encore l’information du public.
Des troubles de la reproduction au diabète…
Faisant écho à cette critique, la nouvelle SNPE qui a été dévoilée hier fait de l’information du public sa priorité. Ce souci d’information ne suppose pas cependant de mettre en avant les zones d’ombre autour des perturbateurs endocriniens (expression schématique qui ne permet pas d’appréhender la diversité des situations). On peut en effet lire dans la présentation en dix points de la SNPE ces phrases unanimement affirmatives : « Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle qui dérèglent le fonctionnement hormonal des organismes vivants. Ils ont des effets néfastes sur l’environnement et sur la santé humaine ; ils peuvent provoquer des troubles de la croissance, du développement sexuel ou neurologique, des troubles de la reproduction, ainsi que l’apparition de certains cancers et maladies métaboliques comme le diabète ».
Une liste et une classification nuancée
Contrairement à ce que pourrait laisser supposer cette première présentation, le projet du gouvernement n’exclut pas la nuance. C’est ainsi qu’une des mesures phares de la SNPE, soit l’élaboration d’une liste des perturbateurs endocriniens (qui s’inscrit dans un effort de transparence déjà engagé vis-à-vis des pesticides), propose de distinguer entre les substances « suspectées », « présumées » et « avérées » ce qui permet de témoigner d’un état divers des connaissances et d’une gradation des dangers et des risques. L’information passera également par la création d’un site dédié au grand public sur les «risques liés à l’utilisation de certains produits chimiques, dont les perturbateurs endocriniens », site dont l’élaboration est confiée à l’ANSES, qui toujours dans ses avis distingue entre le danger des substances et leur risque en fonction des expositions. Au-delà de ces initiatives, d’autres projets apparaissent plus délicats. Ainsi, le plan prévoit la collecte de « données sur l’imprégnation des différents milieux (air, eau, sol), par les perturbateurs endocriniens et les centraliser sur une plateforme dédiée, ouverte à tous les acteurs ». On peut s’interroger sur les risques d’une utilisation de certaines données mal appréhendées si les chiffres sont présentés sans contextualisation.
Se concentrer sur l’exposome…
Le plan prévoit encore de poursuivre les efforts en matière de formation des professionnels de santé, de mobiliser les industriels en faveur de la substitution et d’améliorer encore et toujours les connaissances. Parallèlement à une surveillance épidémiologique, qui présente inévitablement des limites en raison des facteurs de confusion (difficile en effet de lier totalement maladies métaboliques et exposition aux perturbateurs endocriniens dans un contexte d’augmentation de la malbouffe [malbouffe qui n’est pas seulement le fait des substances chimiques] et du vieillissement de la population), l’accent doit également être mis sur la connaissance de ces substances. C’est l’objet plus globalement du plan national santé environnement dans lequel s’inscrit la SNPE. Ainsi, Elisabeth Toutut-Picard, député et présidente du Groupe santé environnement a rappelé hier que son groupe « s’engageait à travailler à l’élaboration d’un plan national santé environnement 4 (PNSEA) » qui se concentrera notamment sur la « recherche sur l’exposome ». Il s’agissait déjà d’une volonté du PNSEA3, qui indiquait que « Cette nouvelle approche implique un changement de paradigme et la prise en compte de toutes les sources de pollution ou d’exposition susceptibles de concourir à l’altération de la santé des individus, à la fois en considérant la totalité des voies d’exposition à un polluant ou une nuisance et, quand c’est possible, leurs interactions entre polluants. La nouveauté de la notion d’exposome est de s’appliquer à l’atteinte au niveau des organes cibles en intégrant les mécanismes de toxicité associés et la réponse biologique globale. Elle fait le lien entre une approche par milieu et une approche par pathologie ».
Un débat public vraiment pertinent ?
Aujourd’hui, la SNPE est désormais soumise à une concertation publique (tandis que d’une manière générale la « participation de tous les acteurs » est la méthode proposée pour l’élaboration du PNSEA4) débutée hier et qui s’achèvera le 8 février. On pourra observer que ce souci de la concertation contredit les accusations très fréquentes visant les pouvoirs publics qui refuseraient d’entendre (si ce n’est d’écouter) les doléances des citoyens… et on pourra s’interroger sur la pertinence d’une telle démarche face à des sujets si techniques où l’opinion n’a que peu de poids.
Il est en tout cas certain que les remarques seront nombreuses. Déjà certaines ONG ont en effet regretté que la SNPE ne retienne pas l’étiquetage comme mode d’information des consommateurs sur les PE, idée évoquée lors des précédents plans et finalement écartée, probablement en raison de la difficulté de transmettre des informations aussi complexes sur un tel support (compte tenu de la diversité des substances dont les risques sont en outre liés à l’exposition). A suivre.
Aurélie Haroche