La mission d’information commune sur les produits phytopharmaceutiques a tenu quatre auditions le jeudi 8 février.
Les députés ont d’abord entendu Madame Anne Blondeau, enseignante et Monsieur Paul Forgeois, responsable des exploitations agricoles annexées à l’établissement Genech (Institut de formation aux métiers de la nature et du vivant), ainsi que Monsieur Bertrand Vandoorne, enseignant-chercheur et responsable du pôle agriculture de l’ISA de Lille, école d’ingénieurs en sciences du vivant. L’institut GENECH est l’une des plus grandes écoles privées agricoles de France, qui dispose notamment d’un site de 80 hectares abritant des exploitations (maraîchage, arboriculture) permettant d’y pratiquer des expérimentations, aussi bien en agriculture conventionnelle qu’en bio. L’institut a notamment participé à l’action 16 du plan Ecophyto sur la transmission des savoirs. L’ISA de Lille est une école d’ingénieurs qui compte environ 1 200 étudiants, dont une partie en alternance. 250 diplômés sortent chaque année de l’ISA, dont 70 en agriculture. L’ISA travaille beaucoup avec l’institut GENECH et l’une de ses équipes de recherche, Biogap, a pour ambition de trouver des solutions naturelles pour combattre les parasites dans un objectif d’agriculture durable.
Les représentants de l’école GENECH estiment nécessaire une harmonisation, au niveau européen, des règles d’utilisation des produits phytopharmaceutiques : les législations ne sont pas les mêmes en France, en Espagne, en Allemagne, etc. On interdit des substances aux agriculteurs français, mais on autorise l’importation de produits agricoles traités avec ces mêmes substances. En l’état, les agriculteurs français ne peuvent pas être compétitifs. Le représentant de l’ISA a rappelé qu’il n’y a pas une solution unique, mais une combinaison d’alternatives multiples qui doivent permettre d’aboutir à un système agronomique qui fonctionne.
La mission a ensuite reçu les représentants de l’association Solagro : Madame Madeleine Charru, directrice et Monsieur Sylvain Doublet, chargé de projet et co-auteur du scénario Afterres 2050, (scénario de transition agricole, alimentaire et « climatique »). Entreprise associative existant depuis 35 ans, Solagro travaille à imaginer, accompagner et promouvoir les transitions énergétique et alimentaire, à travers une approche systémique des enjeux et leviers. Les représentants de l’association estiment possible de diminuer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques tout en continuant à produire suffisamment pour se nourrir, à condition de modifier notre régime alimentaire. L’association travaille sur plans alimentaires territoriaux (PAT) pour organiser la production et la consommation (restauration collective, etc) sur un territoire (ex du PAT du Grand Clermont).
Madame Charru a rappelé qu’en 2014, 3,2 milliards d’€ avaient été dépensés dans l’achat de produits chimiques en France (en hausse de 400 millions d’€ par rapport à 2013) et qu’il vaudrait mieux consacrer une partie de cette sommes au développement du conseil.
L’après-midi, les députés ont auditionné les représentants de la Fédération du négoce agricole : Monsieur Antoine Pissier, président, et Monsieur Damien Mathon, délégué général.
La Fédération qui regroupe 400 entreprises patrimoniales, a deux missions :
– en amont : le conseil et la vente de produits de protection des plantes et une expertise agronomique;
– en aval : l’achat des céréales aux agriculteurs et la valorisation de leurs productions (conseil stratégique, commercialisation, etc.).
Pour la Fédération, les solutions alternatives existent très partiellement et il faudrait flécher une partie du plan d’action gouvernemental vers la recherche publique et privée. Un accompagnement financier des agriculteurs est aussi nécessaire, ainsi que des simplifications administratives, notamment pour l’homologation des solutions de biocontrôle. En matière de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), il faudrait que la commission puisse publier un maximum de fiches actions, notamment dans le secteur des grandes cultures. D’ici 2021, 17 millions de CEPP devront avoir été collectés. Selon eux, il faudrait aussi renforcer les moyens pour investir dans le stockage de céréales compatible avec la non-utilisation d’insecticides de stockage. Ils réclament eux aussi une harmonisation européenne et la suppression de la taxe farine pour la meunerie. Ils sont opposés à la séparation de la vente et du conseil en matière de produits chimiques, estimant que cela ne résoudra pas l’objectif de diminution de leur utilisation. Ils ont rappelé que l’usage des produits avait beaucoup diminué depuis 20 ans (division par 2 des volumes).
Enfin, la mission a auditionné les représentants d’ATMO France (notamment Madame Marine Tondelier, déléguée générale et Monsieur Patrice Colin, référent pesticide et directeur de Lig’AIR) et de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (dont sa directrice, Madame Hélène Soubelet).
ATMO France fédère les 18 associations agrées de surveillance de la qualité de l’air (18 ASQA, une par région, y compris outre-mer). Elle bénéficie de financements de l’Etat, des collectivités territoriales volontaires et des industriels (via la taxe générale sur les activités polluantes TGAP). ATMO mesure depuis 20 ans la présence des pesticides dans l’air. Sur 200 molécules recherchées, 130 ont été retrouvées dans l’air. Mais il manque une étude homogène au niveau national : il y en a une qui est en cours pour connaître le lien entre les pratiques agricoles et la présence des pesticides dans l’air.
La Fondation pour la recherche sur la biodiversité a été établie en 2008 par les ministères de l’écologie et de la recherche. Sa mission est de mobiliser des moyens pour la recherche sur la biodiversité. Son conseil scientifique est composé de 20 personnalités indépendantes. En ce qui concerne les pesticides, la Fondation fait 5 constats :
– les pesticides ont un impact massif sur l’environnement : disparition des insectes, oiseaux et animaux marins;
– la baisse de leur usage ne réduit pas forcément les rendements agricoles (ex des fermes DEPHY, qui ont baissé jusqu’à 30 % l’usage des produits, et dont 78 % d’entre elles ont obtenu un rendement équivalent ou meilleur);
– l’usage massif des pesticides augmente la résistance des maladies des plantes.
– il existe déjà des mesures pour diminuer l’usage des pesticides, notamment par l’intensification écologique. Alors que 25 % de la biodiversité se trouve dans le sol, on la détruit par l’utilisation des intrants, laquelle est favorisée par la monoculture intensive.
– l’évaluation des risques liés aux pesticides est insuffisante : il faut évaluer la molécule, mais aussi ses adjuvants et leurs impacts sur l’environnement. Ainsi, l’AMPA, métabolite du glyphosate, est la molécule la plus fréquemment retrouvée dans les cours d’eau.
La Fondation fait les propositions suivantes :
– interdire les substances les plus préoccupantes;
– accompagner la mise en place de filières alternatives;
– développer la recherche en lui donnant des moyens, notamment pour des études de toxicologie;
– séparer la vente et le conseil.
– augmenter la taxation sur les produits phytopharmaceutiques
– renforcer les moyens de l’ANSES
– modifier les procédures d’évaluations des risques