Jeudi 22 février, la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques a mené 6 auditions.
Le matin, elle a d’abord entendu les représentants des 3 syndicats agricoles : la Confédération paysanne, la Coordination rurale et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF).
La Confédération paysanne, qui représente 20 % des agriculteurs votants aux élections professionnelles, défend un autre modèle d’agriculture et estime que les pesticides, outil de compression des coûts, participent à la logique de compétition à l’œuvre dans le secteur. Le syndicat estime qu’il faudrait diffuser les matériels et les savoirs et développer les activités de recherche. Ses représentants affirment qu’il existe déjà beaucoup d’alternatives, notamment dans l’agriculture biologique : travail humain, techniques de désherbage mécanique, élimination des insectes dès leur installation, etc. Ils estiment qu’il faut partager le foncier agricole et le coût des productions. Selon eux, il faudrait interdire les produits CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), mais pas de façon sèche : il faut nécessairement un accompagnement. Selon eux, les impasses ne sont pas techniques, mais financières : il existe des alternatives au glyphosate, elles sont seulement plus coûteuses (exemple: des filets anti-insectes pour remplacer le dimethoate interdit pour protéger les cerises de la mouche Drosophile Suzuki). Enfin, ils pensent que trop d’argent public est consacré au financement de grands projets, alors qu’il faudrait en consacrer davantage pour de nombreux petits projets. Ils demandent aussi un allègement des règles d’homologation pour les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), les cépages résistants, les semences, les huiles essentielles.
La Coordination rurale (CR) est le 2ème syndicat agricole français (21 % des suffrages aux élections des chambres d’agriculture) et le plus récent : d’abord association en 1991, puis syndicat à partir de 1995, elle s’est constituée contre la réforme de la PAC de 1992 qui prônait l’ouverture aux marchés mondiaux, risquant ainsi selon la CR de placer l’Europe et de la France dans une dépendance aux protéines. La CR qui pense d’abord à l’échelle européenne, estime que la PAC doit avant tout répondre aux nécessités alimentaires européennes et donc d’organiser l’agriculture en conséquence. Elle sollicite une exception agriculturelle (au même titre que l’exception culturelle). Pour réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, elle rappelle la palette des moyens disponibles : les alternatives comme les produits de biocontrôle ou l’agriculture de conservation des sols, la recherche génétique (notamment les NPBT, nouvelles techniques de production de semences), le désherbage mécanique, etc.
Le MODEF (Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux), créé en 1959, défend les petits et moyens agriculteurs et l’agriculture de type familial (exploitations jusqu’à 30 hectares en général). Il est surtout implanté dans le sud-ouest, le sud-est et l’ouest, mais très peu en Île-de-France, et représente toutes les filières. Il identifie plusieurs freins aux changements de pratiques : l’absence de formation, le caractère pointu et technique des nouvelles pratiques, le manque d’alternatives dans certains cas (exemple du dimethoate pour la culture des cerises). Selon ses représentants, il faut modifier le comportement des distributeurs et des firmes phytopharmaceutiques : la grande distribution joue un rôle catastrophique auprès du consommateur en exigeant des produits avec une qualité visuelle parfaite, qui pousse à l’utilisation de produits chimiques de synthèse. Selon eux, il faudrait développer l’agriculture raisonnée, avec des traitement ciblés qui permettent de réduire de 3 à 4 fois la quantité de pesticides utilisés. Ils estiment aussi que la France pourrait interdire l’importation de produits traités avec des substances interdites chez elle, au nom de la santé publique. De façon plus générale, alors que la France a connu en 50 ans, une baisse du nombre d’agriculteurs de 2,5 millions à 350 000, le MODEF souhaiterait qu’il y ait un million d’agriculteurs sur des parcelles plus petites et moins consommatrices de produits chimiques. La concentration actuelle des exploitations fragilise la plante et favorise la consommation de produits phytopharmaceutiques.
L’après-midi, la mission a auditionné les représentants de l’Interprofession des fruits et légumes frais (Interfel), Monsieur Bruno Dupont (président) et Monsieur Louis Orenga (directeur). Créée en 1976, Interfel rassemble l’ensemble des métiers de la filière fruits et légumes frais. Toutes les fonctions sont représentées : production, coopération, expédition, importation, exportation, commerce de gros, distribution (grandes surfaces, commerces spécialisés et restauration collective). Organisme de droit et d’initiative privés, Interfel est reconnue association interprofessionnelle nationale agricole par le droit rural français, ainsi que par l’Union européenne depuis le 21 novembre 1996. L’ensemble des métiers de la filière représente 75 000 entreprises, soit 450 000 emplois directs (dont 250 000 saisonniers).
Les députés ont ensuite entendu les représentants du réseau Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). Les CIVAM sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui, par l’information, l’échange et la dynamique collective, innovent sur les territoires. Ils développent des initiatives, testent de nouvelles pratiques (campagnes vivantes, systèmes de production autonomes et économes, échanges en milieu rural, création et maintien de l’activité agricole et rurale). Par des formations, des échanges et des visites, ils expérimentent en profitant de l’appui, du soutien et des critiques des autres collègues du groupe. Ils osent des pratiques, concrétisent des projets adaptés à leur contexte et à leur territoire. Ils peuvent ainsi conjuguer leurs aspirations environnementales, économiques et sociales et constituer des références transmissibles à d’autres. Il existe un CIVAM en Haute-Garonne, à Martres-Tolosane.
Enfin, la série d’auditions du jour s’est terminée avec les représentantes de l’Union pour la protection des plantes (UIPP), Madame Eugénia Pommaret, directrice générale et de Madame Delphine Guey, directrice de la communication et des affaires publiques. L’UIPP est une association professionnelle qui regroupe 22 entreprises fabriquant des solutions de protection des plantes, constituées à 85 % par les produits phytopharmaceutiques. Selon l’UIPP, les entreprises consacrent 10 % de leur chiffres d’affaires (supérieur à 2 milliards d’€) à la recherche, mais très peu aux solutions de biocontrôle. Les deux représentantes ont rappelé que le biocontrôle ne représente que 5 % du marché et que sa définition est très franco-française et qu’il manque des garanties au niveau européen qui permettraient aux entreprises d’y investir davantage. Elles ont rappelé qu’entre la mise au point d’un produit (de synthèse ou de biocontrôle) en laboratoire et sa mise en vente, il se passe 12 ans en moyenne et que les règles exigent la production de 300 études sur chaque molécule. Elles estiment que le secteur des produits phytopharmaceutiques est l’un des plus encadrés au monde et qu’il faut continuer à investir dans l’évolution des savoirs et la formation, dont une partie est déjà dans Certiphyto. L’UIPP a aussi réalisé un guide d’étiquetage des produits à usage professionnel.