Vous trouverez ci-dessous, la version longue de la contribution personnelle d’Elisabeth Toutut-Picard, annexée au rapport relatif à Mission parlementaire sur les alternatives aux phytopharmaceutiques :
Contribution d’Elisabeth Toutut-Picard
En complément du travail sérieux et détaillé des rédacteurs de ce rapport, j’ai tenu à m’exprimer à titre tout à fait personnel sur ma propre perception de la problématique des phytopharmaceutiques.
Cette modeste contribution d’élue soucieuse de défendre l’intérêt général a pour objet de partager quelques réflexions et proposer plusieurs démarches volontaristes.
Sur le déroulement de la mission
En ma qualité de présidente, je tiens tout d’abord à souligner le grand sérieux du travail réalisé par mes deux collègues corédacteurs, avec l’aide des quatre administratrices de l’Assemblée nationale qui ont accompagné successivement ou ponctuellement cette MIC et qui ont participé à la rédaction du rapport. C’est un document détaillé qui s’est efforcé de circonscrire un sujet par ailleurs très complexe.
C’est le résultat d’un vrai travail de fond entrepris en novembre 2017 et qui a dû s’interrompre à la mi-mars 2018 pour épouser le calendrier ministériel et anticiper la parution de la loi EGEAL sur l’agriculture et l’alimentation.
Nous avons ainsi mené ensemble 50 auditions et entendu une centaine de personnes en l’espace de trois mois de présence parlementaire effective
Nous nous sommes déplacés sur le terrain à trois reprises, dans le Dijonnais, les Deux-Sèvres et l’Aube.
Nous avons également fait un déplacement à Bruxelles pour rencontrer les directeurs des services français et européens responsables des questions agricoles et environnementales.
L’esprit de la mission : transparence
Au cours de la première réunion d’installation de la MIC, nous avons collectivement choisi de donner une totale transparence à nos débats. Ceux-ci ont donc tous été filmés en direct et demeurent disponibles sur le site de l’Assemblée nationale.
Les intervenants étaient prévenus des conditions de leurs auditions, et en général ils ont été attentifs à la qualité de leurs prestations. Les “institutionnels” se sont souvent montrés très prudents dans leurs prises de position, et nous avons eu droit à quelques postures de principe de représentants officiels des parties prenantes.
Dans l’ensemble nous pouvons être satisfaits de ce travail collaboratif et sommes reconnaissants aux intervenants d’avoir accepté de jouer le jeu des questions-réponses et de nous avoir éclairés dans notre démarche.
Nos discussions à l’Assemblée nationale ainsi que nos déplacements ont également donné lieu à des comptes rendus écrits ; les compléments d’information et autres documents transmis par les différents intervenants ont été annexés à ces comptes rendus. De notre côté, nous avons construit notre réflexion en direct devant les caméras.
Les obstacles rencontrés et surmontés
Pour ma part, je dois reconnaître que je ne m’attendais pas à devoir faire le tour complet et rapide du monde agricole après avoir simplement entrebâillé la porte d’entrée des phytopharmaceutiques. Ce fut passionnant et instructif, même si cela n’a pas été toujours facile, tant les témoignages entendus se sont révélés souvent contradictoires et les intérêts privés toujours sous-jacents aux explications données.
Par ailleurs cette MIC, par définition transpartisane et transcommissions, était régulièrement traversée par des courants de pensée reflétant les appartenances thématiques des commissaires.
En tant que présidente, je me suis cependant efforcée de maintenir notre démarche collective à l’abri des réseaux d’influence et des présupposés idéologiques ou intellectuels afin de lui assurer une objectivité technique. L’objectif affiché était en effet d’identifier concrètement des alternatives à l’utilisation des pesticides et d’aboutir à des préconisations pratiques et réalisables. La démarche ne devait être ni politique ni militante, même si la recherche de la vérité relève quelque part d’une forme d’engagement éthique.
C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à ce que la MIC s’intéresse à la problématique des phytopharmaceutiques (PPP) dans son ensemble et ne se limite pas au seul problème du glyphosate. La question me paraissait définitivement réglée par la prise de position du président Macron, et je ne voyais pas l’intérêt d’y revenir à la veille de la décision de la Commission européenne, même si le sujet a été souvent repris et débattu tout au long de nos auditions et discussions.
Un calendrier accéléré, parfois chahuté
J’ai également choisi de défendre le point de vue d’une démarche au long cours et de repousser l’hypothèse d’une mission-flash qui ne nous aurait pas permis d’apporter une contribution crédible à la question des pesticides et nous aurait fait courir le risque de discréditer notre parole de députés. Je remercie vivement les différents présidents de commissions pour avoir accepté ce challenge et dégagé les ressources humaines nécessaires.
En définitive, la MIC aura duré moins longtemps qu’initialement prévu puisque nous avons décidé de produire le rapport de la MIC préalablement à la discussion sur la Loi agricole. Cette décision d’abréger notre réflexion en cours de route a quelque peu entravé la dynamique de notre démarche. Nous aurions notamment aimé nous rendre aux Antilles pour constater par nous-mêmes les dégâts occasionnés par le chlordécone. Certaines administrations déconcentrées de l’État n’ont pas été auditionnées (cf. Direction départementale des territoires, DDT), qui jouent pourtant un rôle important auprès des agriculteurs au moment de leurs démarches de financement PAC.
Nous avons également rencontré quelques difficultés de positionnement et de méthode. En parallèle à notre travail, le gouvernement travaillait en effet sur le même sujet, sans que nous ayons connaissance de l’orientation de sa démarche et encore moins de ses conclusions.
L’avantage, c’est que nous avons réfléchi de façon autonome et sans ingérence extérieure ; notre mode de travail en totale transparence nous a différenciés des modalités plus confidentielles de la réflexion gouvernementale.
L’inconvénient, c’est la succession de communications gouvernementales et présidentielles inattendues qui nous ont tantôt déstabilisés, tantôt confortés sur le fond.
Déstabilisés, car nous avons auditionné les membres de l’INRA avant la diffusion officielle de leurs travaux ; ce qui a rendu leur parole plus contrainte et nous a privés en temps réel d’informations importantes ; nous aurions aimé dans l’absolu les ré-auditionner après la diffusion de leur rapport. Nous aurions également aimé connaître, un peu en amont de leur publication, les analyses et conclusions des inspections générales des différents ministères mobilisés à la demande du premier ministre ; cela aurait pu réorienter le déroulement de nos auditions déjà programmées ; nous aurions pu nous en inspirer et rebondir vers d’autres types de questionnements.
Confortés cependant sur le fond, car le discours du président de la République aux jeunes agriculteurs reçus à l’Élysée, ainsi que ses déclarations au Salon de l’agriculture, nous ont permis de nuancer nos propres conclusions sur le glyphosate et sur le recours aux pesticides.
Mais, en dépit des quelques difficultés méthodologiques et techniques rencontrées, ce rapport identifie bien les enjeux et questionnements soulevés par le recours aux pesticides. Les corédacteurs de la MIC ont consigné dans ce document final ce qu’ils avaient entendu et constaté. Ils en ont tiré ensuite leurs propres conclusions et propositions, en fonction de leur ressenti et de leurs angles d’approche personnels.
Ma démarche contributive
Je tiens à apporter mon apport personnel à ce travail collectif, à partager quelques réflexions et à proposer quelques démarches.
À trop nuancer le propos à coups de conditionnels, le ton prudent du rapport me semble ôter un peu de dynamisme et d’audace aux propositions finales présentées. Je ne voudrais pas qu’il en soit tiré la conclusion que les députés cautionnent une position distanciée et un peu fermée, consistant à affirmer que “tout le monde admet la nécessité de sortir des PPP, mais que personne ne le peut vraiment”.
Ma contribution, forcément subjective, doit être reçue comme celle d’une élue attentive à distinguer les éléments de vérité à travers les témoignages entendus, et soucieuse avant tout de défendre l’intérêt général.
Mon analyse de la situation
L’opinion publique attend, légitimement, un positionnement simple et ferme des pouvoirs publics sur un sujet qui est particulièrement complexe et ne peut se régler avec des réponses univoques.
Par-delà la problématique même des phytopharmaceutiques, c’est en effet notre système agricole tout entier qui est interpellé et plus précisément sa capacité à répondre aux nombreuses attentes, parfois antinomiques mais fort compréhensibles, de la population, attentes tout à la fois sanitaires, environnementales et économiques.
A l’origine, c’est pour assurer la couverture des besoins alimentaires, mais aussi pour moderniser une agriculture alors encore très familiale que les décideurs français et européens de l’après- guerre ont choisi d’ »industrialiser » l’agriculture française dans le cadre de la PAC. Dans cet objectif de rentabilisation et dans un contexte de concurrence commerciale mondialisée, les produits phytopharmaceutiques et plus particulièrement le glyphosate et ses dérivés, ont joué un rôle déterminant, économiquement très efficace. L’agriculture est ainsi devenue l’un des piliers les plus importants de notre balance des échanges commerciaux.
Mais les impacts négatifs de ce recours intensif à la chimie ont été mal identifiés, voire notablement sous-estimés, et les interrogations s’accumulent aujourd’hui sur notre environnement quotidien : qualité de la nourriture, de l’air, de l’eau, des sols cultivés, impacts du dérèglement climatique…
Les pratiques agricoles sont les premières à être questionnées dans un climat de suspicion chez les riverains et consommateurs, et de mauvaise conscience et de découragement chez les producteurs. Les agriculteurs que nous avons auditionnés ont exprimé une souffrance sincère à être désignés à la vindicte populaire, soupçonnés même d’être des “empoisonneurs”. Toutes les nombreuses parties prenantes du monde agricole s’accordent désormais à reconnaitre les dommages collatéraux, sanitaires et environnementaux de ces choix. Elles affichent leur volonté de reconsidérer des pratiques agricoles qui contribuent, dans le maelstrom des nombreuses pollutions anthropiques auxquelles la population est exposée, à la dégradation des écosystèmes naturels et à la mise en danger de la santé publique.
Pour ma part, après avoir lu et entendu de nombreux témoignages au cours de la mission, je me suis forgé une intime conviction : nous devons nous mobiliser et agir rapidement pour nous sevrer des phytopharmaceutiques et construire un nouveau modèle agricole respectueux de la vie sous toutes ses formes.
Ma position n’est pas seulement celle qu’exprime une “hospitalière”, membre de la commission parlementaire des affaires sociales. Je suis également sensible et formée aux problématiques environnementales et suis, ô combien, consciente aussi des enjeux économiques de cette problématique. Ce serait inconséquent, voire irresponsable de ma part, de les nier.
Mais, si nous ne voulons pas voir s’éteindre inexorablement la vie sous toutes ses formes, celle de tous les organismes vivants de cette planète (la réalité effective de la sixième grande extinction de la diversité et de la richesse du vivant est désormais confirmée par les scientifiques), si nous ne voulons pas mettre en péril la survie même de notre propre espèce, nous devons au plus vite assainir notre environnement et nous rendre, autant que faire se peut, indépendants de la chimie. Nous devons retrouver les grands équilibres de la terre et rétablir les échanges chimiques naturels des écosystèmes.
Une fois cette position affirmée, il reste à définir les modalités d’action.
Peut-on tout d’abord prôner « un grand soir » des pesticides et exiger l’arrêt immédiat du recours à la chimie ? Malgré l’urgence et la motivation à agir rapidement, force est de constater que ce type d’hypothèse « révolutionnaire » est difficilement réalisable. La couverture des besoins alimentaires doit en effet continuer à être assurée sans rupture d’approvisionnement ; par ailleurs notre modèle agricole est tellement dépendant des pesticides qu’il ne pourrait affronter un sevrage brutal qui mettrait en péril la survie économique des producteurs eux-mêmes. L’expérience montre notamment qu’il faut entre trois et cinq ans pour qu’une exploitation agricole, qui fonctionnait sur un mode conventionnel recourant aux pesticides, puisse techniquement passer en culture biologique.
Il nous faut donc composer avec notre impatience tout en restant fermes sur l’objectif du sevrage, œuvrer avec opiniâtreté et pertinence à faire évoluer les pratiques. C’est techniquement possible …et d’ores et déjà avéré. Des exploitations agricoles fonctionnent déjà avec des pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé avec des résultats économiques parfois plus probants que ceux des agricultures conventionnelles.
Restent à définir les échéances et les engagements contractuels à imposer aux différents acteurs de la longue chaine du secteur agricole.
Dans cet ordre d’idées, le président de la République a défini des objectifs précis pour la sortie de l’herbicide le plus utilisé en France et en Europe, le glyphosate : sortie en trois ans, avec modulations dans la mise en application de l’objectif.
Personnellement, j’adhère entièrement à cet objectif, car il a déjà le grand mérite d’être posé. Il est indispensable en effet de fixer des limites temporelles et de ne pas laisser « filer le temps ». Nous ne devons pas perdre de vue l’objectif final d’assainissement de nos sols et de verdissement de nos pratiques.
Les mesures urgentes : l’interdiction de certains produits et usages
Dans un premier temps, certaines mesures de protection de la population doivent être prises en urgence.
Si certains produits identifiés comme toxiques, voire catalogués CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques), ont été retirés en urgence des circuits de vente, d’autres produits phytopharmaceutiques (PPP), pourtant officiellement considérés comme dangereux, continuent à être autorisés et utilisés.
Le rapport IGAS de décembre 2017 a désigné ces produits, qu’il faudrait immédiatement sortir du commerce. Nous devrions commencer a minima par prendre cette mesure, sans attendre le résultat de nouvelles études.
Nous devons anticiper les problèmes de santé publique qui peuvent se transformer en crises sanitaires chroniques, comme c’est le cas aux Antilles avec le chlordécone, substance chimique utilisé dans les bananeraies, qui a pollué en 2008 et pollue toujours les sols, les eaux des rivières et les nappes phréatiques, contaminant certaines denrées alimentaires. Au-delà des exploitations agricoles, c’est toute la population qui a été touchée par cette pollution.
L’interdiction immédiate de l’utilisation du glyphosate pour la dessiccation des plantes (pratique qui consiste, dans les régions humides et peu ensoleillées, à projeter le produit directement sur la plante afin d’en accélérer le dessèchement et de rendre plus rapide la moisson) est indispensable afin de prémunir les consommateurs du risque de retrouver des traces du glyphosate dans leurs aliments.
Des démarches à engager aux niveaux national et européen
La surveillance de la santé publique
Nous devons commencer par protéger la population la plus exposée aux PPP : la population agricole. Des études sérieuses ont établi un lien de causalité entre exposition aux PPP et certains cancers et pathologies neurologiques particuliers au monde agricole (Parkinson, certains types de leucémies). Par ailleurs, le tableau des maladies reconnues professionnelles est compliqué, et les démarches déclaratives décourageantes ; les indemnisations des victimes des PPP sont, qui plus est, variables d’un département à l’autre
Il conviendrait d’assurer un meilleur suivi sanitaire des chefs d’exploitations agricoles et de leurs familles qui, à l’inverse de leurs salariés, ne sont pas tenus de passer une visite médicale (car relevant de la catégorie des professions indépendantes). La connaissance de l’épidémiologie propre à cette profession serait ainsi améliorée.
Il me paraît aussi indispensable de revoir le fonctionnement de la médecine du travail de la MSA et d’envisager un parcours-patient spécifique aux agriculteurs. Une meilleure coordination entre services de la MSA et médecins généralistes de famille, plus aisément consultés que les médecins du travail, permettrait non seulement de renforcer le maillage de la prise en charge sanitaire, mais aussi d’enrichir par la même occasion les bases de données épidémiologiques relatives à cette profession, d’assurer également une meilleure prévention en ciblant le conseil et l’accompagnement technique des utilisateurs de produits PPP, et enfin d’organiser une indemnisation équitable des victimes.
Dans le rapport de la mission, il est fait mention du conseil donné aux populations vulnérables, femmes enceintes, enfants, personnes âgées, de se tenir à distance des PPP lors de leur épandage. Peut-être conviendrait-il de systématiser ce message préventif et de l’intégrer dans la liste des mesures sanitaires prévues dans le plan national Santé-Environnement ?
La question du suivi de la qualité de l’air me paraît aussi primordiale. Les agences de surveillance de la qualité de l’air assurent actuellement un suivi qualitatif et quantitatif des particules fines présentes dans l’air, mais elles n’ont pas reçu la mission de s’intéresser à la présence des PPP. Il conviendrait de lancer une telle démarche et de définir comme c’est le cas pour les particules fines, des valeurs de référence des PPP dans l’air respiré.
Il conviendrait aussi de renforcer les moyens affectés aux agences de l’eau, à travers la hausse des montants des redevances pour pollution diffuse, afin d’assurer une meilleure protection des cours d’eau et des points de captage, ainsi qu’un meilleur suivi des eaux de surface et des eaux sous-terraines (nappes phréatiques et autres réserves d’eaux).
D’autres travaux universitaires ont également mis en évidence l’effet mutagène et reprotoxique de certains perturbateurs endocriniens contenus dans les pesticides. L’exposition à ces produits pendant la grossesse peut entraîner des malformations urogénitales et réduire la fertilité masculine.
Les impacts sanitaires des PPP et des perturbateurs endocriniens, qui sont déjà intégrés dans les objectifs de prévention des plans Santé-Environnement nationaux et régionaux, doivent faire l’objet d’une classification officielle, d’une évaluation et de plans d’actions thématiques ciblés.
Le développement des alternatives
Les techniques alternatives existent ; le rapport de la MIC en a fait une description détaillée en précisant les avantages et inconvénients de chacune d’entre elles. Ces pratiques agricoles se présentent sur un continuum allant des méthodes dites conventionnelles (qui continuent à recourir à un usage intensif de PPP) jusqu’aux techniques de l’agriculture biologique qui interdisent tout recours aux intrants chimiques.
Le rapport de la Mission précise des objectifs quantifiés de progression des surfaces agricoles utiles (SAU), qui devraient passer à 15% pour les cultures biologiques et à 10% pour les cultures de conservation de sol en 2022
Même s’il n’est pas adapté à tous les types de cultures ni à tous les climats, et qu’il soulève lui aussi quelques interrogations, le modèle de la filière biologique demeure celui vers lequel il conviendrait globalement de tendre. Ce type d’agriculture ne se présente plus comme une niche conjoncturelle, mais comme un vrai débouché pérenne, répondant à une demande de la population. Mais sans un accompagnement humain, technique et financier, la transition du modèle conventionnel vers le modèle biologique (qui requiert un temps d’adaptation de trois à cinq ans) ne pourra guère être effective.
Des modèles de cultures alternatives agro écologiques (semis direct, couverture et conservation des sols) constituent aussi des solutions à privilégier, même si elles recourent, pour certaines d’entre elles, à un apport résiduel de glyphosate en intersaisons.
Autant de solutions pour chacune des grandes filières de production (céréales, viticulture, filières fruits et légumes, élevage), mais aussi autant de solutions selon les terroirs, la qualité des sols, les configurations géographiques et les pédoclimats.
Il n’y a pas de solution unique applicable à toutes les régions françaises. La France est le seul pays d’Europe qui présente une telle palette de tous les climats européens et de toutes les pratiques culturales européennes. Cette diversité en fait sa richesse et sa complexité.
L’accompagnement à la transition : la question de la gouvernance
La contractualisation, système à la fois contraignant et ouvert, permettrait aux producteurs de s’engager dans une démarche vertueuse tout en ayant une visibilité parfaite sur leurs ressources. Il me semblerait notamment intéressant d’associer le versement des financements de la PAC à la conditionnalité du “verdissement” des pratiques culturales, en le proportionnant au chiffre d’affaires de chaque exploitation agricole engagée dans le processus d’évolution. La démarche que je propose consisterait ainsi à passer un “contrat d’objectifs et de moyens” avec chaque producteur et éleveur.
Il conviendrait au préalable d’établir une cartographie des pratiques culturales et des consommations de PPP. Ces données existent déjà, détenues les unes par les DDT, les autres par les coopératives et les producteurs eux-mêmes. Il suffirait de les superposer et de passer ensuite à l’étape de contractualisation pluriannuelle. Les objectifs à définir porteraient sur des pourcentages précis de réduction des PPP, sur la planification pluriannuelle de ce “sevrage” et une date limite de sortie définitive. Ils pourraient également intégrer des réorientations de pratiques culturales (par exemple la reconversion vers un modèle combinant la polyculture et l’élevage, notamment dans les zones de maraîchage et dans les terres pentues).
Les moyens seraient octroyés à l’échelle régionale ou intrarégionale en fonction de la pertinence de l’un ou de l’autre niveau de gestion, les régions étant parfois hétérogènes et trop étendues pour être aisément appréhendables ; il faut un niveau de territorialité significatif et cohérent pour que le dispositif colle avec la diversité des terroirs. Ces moyens seraient définis à partir d’un bilan personnalisé réalisé par les conseillers techniques rattachés aux chambres d’agriculture ou par des conseillers techniques indépendants et assermentés. Le réseau des fermes Dephy et le dispositif Ecophyto pourraient être associés à la démarche, ainsi que les associations d’agriculteurs et les agences, unités de recherche et lycées agricoles. Dans un premier temps, des régions volontaires pourraient expérimenter ce mode de management participatif et contractuel et tester la faisabilité d’un tel modèle. La mobilisation de toutes les forces vives de l’agriculture autour des piliers régionaux ou intrarégionaux, des services déconcentrés de l’État et des collectivités territoriales permettrait de porter cette dynamique et d’accélérer la mutation agricole.
La transition agricole doit être portée et mise en action avec la collaboration directe, me semble-t-il, des agriculteurs eux-mêmes. Pourquoi ne pas organiser des états généraux par territoires agricoles, et définir pour chacun d’eux un modèle de mutation spécifique ?
Poursuivre la discussion au niveau européen
Les avis divergents des agences (nationales, européennes, internationales) sur le caractère cancérigène (ou non) du glyphosate, et l’affaire dite des « Monsanto papers », ont semé le doute sur la validité de la parole scientifique.
D’autant que ces agences ne mesurent pas toutes la même chose : les agences européennes évaluent la toxicité des substances actives sur l’être humain, alors que les agences nationales donnent une autorisation de mise sur le marché à des produits qui contiennent ces substances actives, mais aussi des adjuvants qui peuvent rendre le mélange plus toxique.
En outre, ces avis sont donnés sur la base de productions et sources d’information scientifiques et techniques partiellement non communicables, car protégées par le droit à la confidentialité sur les processus de fabrication et la composition des produits.
Enfin, les impacts environnementaux de ces substances ne sont jamais étudiés par les agences européennes et encore moins les effets cocktails des surexpositions aux perturbateurs endocriniens (PE) et autres produits classés CMR, effet cumulatif difficilement évaluable en raison de la complexité de l’approche méthodologique.
Bien sûr, la France peut avoir recours à la clause de sauvegarde à l’encontre d’une molécule si elle considère urgent de prendre une mesure protectrice pour sa population.
Mais le gouvernement français doit aussi poursuivre la discussion avec les autorités européennes sur la manière d’évaluer la toxicité des produits. Il est nécessaire d’exiger de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), une plus grande transparence des démarches et documents servant de base à ses avis. Il faudrait aussi solliciter l’intégration, dans le processus d’évaluation des substances chimiques, de l’évaluation des impacts environnementaux des PPP et de démarches d’identification et d’analyse des impacts sanitaires de l’effet cocktail des surexpositions aux PPP et PE.
Il faudrait aussi remettre à plat et réactualiser les normes européennes, en particulier les limites maximales de résidus (LMR, seuils règlementaires de concentration de résidus de produits pesticides, biocides ou de médicaments vétérinaires légalement autorisés dans ou sur les denrées alimentaires), et la dose journalière admissible (DJA, considérée comme la quantité d’une substance chimique qu’un individu moyen de 60 kg peut théoriquement ingérer quotidiennement sans risque pour sa santé).
L’harmonisation des référentiels commerciaux européens est aussi nécessaire, afin de lutter contre la concurrence déloyale des produits agricoles ne répondant pas aux mêmes exigences sanitaires et environnementales que celles imposées en France. Elle passerait par la définition et l’adoption d’un cahier des charges communautaire précisant les modalités de production (plus ou moins vertueuses), la redéfinition d’un label “bio” réellement homogénéisé à l’échelle européenne et une campagne d’information auprès des consommateurs européens sur les critères de qualité des produits alimentaires.
Je propose enfin la création d’un groupe d’experts intergouvernemental sur les substances toxiques, sur le modèle du GIEC climat. La constitution de ce groupe de scientifiques internationaux favoriserait le partage des connaissances scientifiques sur les risques toxicologiques, élaborerait un bilan des pratiques agricoles planétaires et permettrait la définition de repères normatifs et consensuels d’exposition aux PPP reconnus au niveau mondial.
CONCLUSION
En résumé, je propose plusieurs trains de mesures, complémentaires à celles déjà présentées par les corédacteurs du rapport.
Démarches relevant de l’échelon décisionnaire national
1) des mesures de protection sanitaire à prendre en urgence
– interdiction immédiate de certains PPP d’ores et déjà identifiés comme dangereux et/ou classés CMR
– interdiction immédiate de l’usage du glyphosate dans son effet dessiccatif
2) des mesures de surveillance de santé publique à établir rapidement
– mise en place d’un contrôle médical obligatoire et/ou d’un parcours de soins/filière patient spécifique au secteur agricole pour assurer un meilleur suivi médical des chefs d’exploitation agricole et de leur famille (coordination médecine de ville /médecine du travail MSA ; tableau des pathologies professionnelles ; fonds d’aide aux victimes des PPP) ;
– campagne d’information auprès des populations vulnérables (femmes enceintes, enfants) en période d’épandage, pour limiter l’exposition aux perturbateurs endocriniens ;
– mise en place d’un dispositif de suivi de la présence des PPP dans l’air (surveillance quantitative et qualitative des particules et résidus chimiques présents dans l’air, à intégrer dans les objectifs du réseau ATMO des agences agrées de surveillance de la qualité de l’air – AASQA) et définition de valeurs de référence de présence de PPP dans l’air ;
– renforcement des moyens des agences de l’eau, par l’accroissement des montants des redevances pour pollution diffuse, afin d’assurer une meilleure protection des cours d’eau et des points de captage, ainsi qu’un meilleur suivi des eaux de surface et sous-terraines (nappes phréatiques et autres réserves d’eaux) ;
– classification, évaluation et réalisation de plans d’actions thématiques ciblés des impacts sanitaires des PPP et des perturbateurs endocriniens, déjà intégrés aux objectifs de prévention des plans Santé-Environnement nationaux et régionaux.
3) des mesures organisationnelles et managériales pour accompagner les producteurs dans la transition et amplifier les résultats des plans EcoPhyto
– cartographie des pratiques culturales actuelles par grandes filières de production (céréales, viticulture, filière fruits, filière légumes et maraîchage) (cf. données DDT)
– cartographie des consommations de PPP par terroirs ou par exploitation agricole (cf. données coopératives et producteurs)
– superposition des deux cartographies et définition d’un plan de travail établi par filière de production et par région (sous-région ou terroir)
– contractualisation avec les producteurs : mise en place de contrats d’objectifs et de moyens personnalisés.
Objectifs : quantifiés en volume avec coefficient d’évolution, dates butoirs, projection pluriannuelle, planning des étapes
Moyens : humains (conseils techniques) et financiers
– lancement de démarches territorialisées avec mobilisation de tous les acteurs du terrain, au plus près des exploitants agricoles et éleveurs, sous l’autorité des services déconcentrés de l’État ou de celle des régions
– expérimentation de ce mode de gouvernance contractuelle dans une région ou un terroir volontaire
4) des objectifs quantifiés et des mesures de soutien pour les pratiques culturales agro écologiques les plus vertueuses
– 15% de SAU en agriculture biologique en 2022
– 10% en agriculture de conservation de sol en 2022
Démarches relevant de l’échelon européen et international
Il convient en effet, en parallèle à l’action nationale, de poursuivre la discussion avec Bruxelles et de travailler à l’évolution du fonctionnement des instances européennes en recherchant des synergies avec les États les plus ouverts aux pratiques agricoles et environnementales vertueuses.
1) “sollicitation” soutenue des agences européennes
– pour les amener à expliciter leurs valeurs éthiques, leurs procédures de travail, leurs sources d’information (transparence des documents et autres sources universitaires nationales dans l’élaboration des décisions scientifiques communautaires).
2) intégration de l’évaluation des impacts environnementaux des PPP dans le processus d’évaluation des substances chimiques par les agences européennes
3) mise en place de démarches d’identification et d’analyse des impacts sanitaires de l’effet cocktail des surexpositions aux PPP et PE
4) harmonisation des référentiels commerciaux européens
– afin de contrecarrer la concurrence déloyale et dangereuse des produits agricoles ne répondant aux mêmes exigences sanitaires et environnementales ;
– définition et adoption d’un cahier des charges communautaire précisant les modalités de production (plus ou moins vertueuses) ;
– redéfinition d’un label “bio” réellement homogénéisé à l’échelle européenne ;
– campagne d’information auprès des consommateurs européens sur les critères de qualité des produits alimentaires ;
– identifier les stratégies de contournement, via les pays européens, des produits étrangers, afin de garantir la traçabilité de toute la chaine, de la production à la distribution en passant par le contrôle de la transformation des produits importés.
5) négociations avec l’Union européenne pour le verdissement des pratiques
– ciblage des aides sur l’agriculture biologique
– élargissement des surfaces d’intérêt écologique (SIE) dédiées aux plantations de légumineuses à destination de l’alimentation des animaux.
– consolidation des filières d’élevage à l’échelle nationale et européenne, (débouchés pour le fourrage des légumineuses des SIE)
6) création d’un GIEC international sur les substances toxiques
– partage des connaissances scientifiques actuelles sur les risques toxicologiques (données épidémiologiques de santé publique, identification des produits classés CMR, cartographie des laboratoires et universités publics et privés travaillant sur ces thématiques, bilan des démarches nationales de protection sanitaire et environnementale)
– bilan des pratiques agricoles planétaires (types de cultures/consommation de PPP)
– définition de repères normatifs et consensuels d’exposition aux PPP
– esquisse d’une gouvernance à l’échelle internationale.